EN AVANT PREMIERE DU VENDEE GLOBE CHALLENGE 2012-13
Vendée Globe, boîtes à chaussure contre coque en V
Cheminées Poujoulat et les autres
Par
François Chevalier
Depuis quelques années, les voiliers de
course ont des flancs de plus en plus verticaux, et le moindre bateau moderne
doit posséder au moins son bouchain dit évolutif, au risque de dater.
Les
formes des coques des voiliers ont des origines très diverses. Elles sont
dérivées le plus souvent des conditions de navigation, de leur destination et
des techniques de construction locales. Entre 1860 et 1890, la conception Américaine
des « Plats à Barbes », dérivés des bateaux de pêches de la côte
Ouest, s’est opposée aux « Planches sur la Tranche » Britanniques,
voiliers taxés à leur largeur, pour donner naissance à un « Compromis »,
le plus souvent en forme de V ouvert. La formule s’est imposée, notamment lors
des trois Coupes de l’America, entre 1885 et 1887.
La
révolution de 1891 crée une génération de coques à surface mouillée réduite,
c’est à dire la plus ronde possible. Mais dès 1903, elle est condamnée aux États-Unis
par la création de la Jauge Universelle, et plus encore par la Jauge
Internationale votée en 1906. En France, la Jauge de 1902 pénalisait déjà toute
tentative de forme extrême.
Les
jauges d’après guerre, RORC et IOR ont surtout taxé la stabilité, et donc par
une voie totalement différente, ont interdit tout progrès radical. Pas question
alors de revenir au « plat à barbe » ou à la quille à bulbe. Il faut
attendre les grandes courses en solitaire, dénuées de règle de jauge, pour que
les formes s’affranchissent de soixante ans de restrictions. La Transat (1960),
la Transpacifique (1969), la Mini transat (1977), le Boc Challenge (1982) puis
le Vendée Globe (1989) vont être le berceau du renouveau de l’architecture
navale. Parallèlement, le développement des multicoques de course va générer un
progrès déterminant grâce à l’évolution de la mise en œuvre de nouveaux
matériaux dont les monocoques bénéficient.
©François Chevalier. Cheminées Poujoulat |
Le
60’ IMOCA Cheminées Poujoulat conçu
par Juan Kouyoumdjian est une belle illustration des dernières tendances
en matière architecturale. Son bouchain n’est plus du type évolutif, mais
descend près de la flottaison et se termine à l’étrave. Il y a une boîte
au-dessus de l’eau et une carène en dessous.
Comme
l’explique Juan, la coque présente une légère inflexion sur l’arrière. Le creux
qui en résulte favorise l’allongement de la vague qui définit la vitesse du
voilier, créant artificiellement une longueur de flottaison plus grande que sur
la configuration habituelle. De ce fait, le tableau arrière se trouve enfoncé à
l’arrêt. Avec la vitesse, le voilier creuse la mer comme un bateau à moteur.
Cette forme de coque existe déjà sur les derniers multicoques de la Formule 18.
Fort de l’expérience de Hugo Boss,
l’ex-Pindar, son précédent 60’, Juan
a limité la largeur à 5,97 m, ce qui le place encore dans les plus large, donc
dans ceux qui ont le plus de raideur.
Pour
favoriser le départ au planning, l’architecte a tronqué l’avant de la coque par
un plan en biais, à partir de la flottaison jusqu’au quart du bateau. À la
gîte, cet aplat participe également à prolonger la flottaison sur l’avant et
forme un plan porteur, avec un bouchain sur lequel l’avant du voilier prend
appui.
Cheminées Poujoulat et le 70’ Volvo Groupama ont quelques similitudes, et sont fortement
marqués par les dernières trouvailles de leur architecte - pour plus de détails sur l'évolution des carènes des bateaux de la Volvo, voir notre post en date du 16 avril 2012 sur ce blog.
©François Chevalier - PRB 1996 |
En
1996, le 60’ PRB d’Isabelle Autissier
est à la pointe de ce qui se fait de mieux dans la Classe. Les Architectes
Finot-Conq sont alors les concepteurs incontournables. Leur expérience autant
que leur réussite les placent en tête de yachts designers d’alors.
©François Chevalier - PRB 1996 - plan de voilure |
Les
sections de la coque, avec des flancs en V très ouverts montrent une carène
présentant une flottaison étroite, ce qui induit une surface mouillée réduite.
Les formes ont été étudiées pour que lignes d’eau à la gîte soient proches de
la symétrie axiale. Deux petites dérives en avant du mât améliorent les performances
au près. Déjà, une quille pendulaire permet de réduire le poids du lest par
rapport aux voiliers équipés de ballast latéraux, et les deux safrans sont
pourvus de skeg, pour renforcer leur attache en cas de choc avec un objet
flottant. Le bouge du pont est très marqué, le roof est tout en longueur,
favorisant l’instabilité de la coque lorsqu’elle est à l’envers.
Il
est intéressant de mettre en parallèle l’évolution de deux Classes que tout
oppose, les Class America et les 60‘ IMOCA.
En
fait, un Class America est un voilier dit à déplacement (24 tonnes) dont le
lest représente 80 % du poids. Comme
tout navire à déplacement, sa vitesse est limitée par la longueur de la vague
qu’il crée, soit 9,9 nœuds pour cette longueur. Normalement, il atteint sa
vitesse limite au près par 12 nœuds de vent, à un dixième de nœuds près, et
aura une vitesse constante jusqu’à 25 nœuds de vent.
©François Chevalier. Il Moro di Venezia (1992), Black Magic (1995)n Emirates TNZ (2007). Evolution de plan de voilure. La grand voile a gagné en surface et prend de plus en plus la forme d'une aile. |
Par contre, le Class
America possède des capacités étonnantes pour remonter le vent. Entre 4 et 7
nœuds de vent réel, sa vitesse est supérieure de deux points par rapport au
vent. Par 8 nœuds de vent, son angle de remontée au vent est de 41°, et sa
vitesse est déjà supérieure à 9 nœuds. Il atteint son meilleur angle, 28°, par
environ 16 nœuds de vent, avec, comme on l’a vu, une vitesse stabilisée à 9,9
nœuds. Au-delà de 16 nœuds, il abat progressivement jusqu’à 32° par 25 nœuds de
vent. Par comparaison, un voilier de régate performant de 40 pieds aura une
vitesse au près plus progressive qu’un ACC, jusqu’à 20 nœuds de vent, mais son
cap augmente de 45 à 40° entre 8 et 16 nœuds de vent. Cette particularité
explique la priorité donnée aux éléments favorisants la remonté au vent sur un
ACC. À quoi servirait-il de gagner un demi-nœud de vitesse si le voilier perd
un ou deux degrés au près. Le Class America est avant tout un voilier de match
racing, il s’agit de croiser devant l’adversaire et de le couvrir en pointant
sur la bouée au vent. Pour remonter au vent, il faut de la stabilité et un plan
anti-dérive efficace. En ce qui concerne la stabilité initiale, le Class
America est bien servi. Quelle que soit la forme de sa section au maître bau,
le lest de 19 tonnes à 4,10 mètres sous l’eau lui confère une telle stabilité
que si les 17 membres d’équipage s’alignent sur un bord du voilier, le mât reste
pratiquement vertical. Rien à voir avec les libellules à échelles du lac de
Genève, les 60’ Open ou les 70’ de la Volvo. Par 12 nœuds de vent, le Class
America qui gîte le moins, avec la même voilure, recevra plus de vent dans ses
voiles et pourra pointer plus près du vent que celui qui est plus couché. Si sa
carène présente des formes rondes sous l’eau, en prenant de l’inclinaison, son centre de
flottaison ne variera pas beaucoup. Par contre, s’il a une carène en U
prononcé, comme par exemple Oracle USA 76
ou Emirates Team New Zealand NZL 92, son centre de flottaison se déplace très rapidement
sous le vent et crée un moment de redressement important.
©François Chevalier. Il Moro di Venezia (1992), Black Magic (1995) & Emirates (2007): trois carènes totalement radicales pour leur époque et radicalement différentes... |
Alors
qu’en 1992, Il Moro di Venezia ITA 25
présentait des flancs en V ouvert, avec des fonds assez plats, la génération
suivante, Black Magic NZL 32 avait
des sections proches du cercle parfait, en vue d’un meilleur passage dans l’eau
et une réduction de la surface mouillée. Au cours de la dernière Coupe des
Class America, en 2007 à Valence, on a assisté à un concours de flancs verticaux,
au point que l’appellation « Boîte à Chaussure » est apparue. En fait
cette forme privilégie la raideur, principal facteur de vitesse et de cap.
L’histoire
du progrès est un éternel recommencement. À force d’amélioré un des éléments de
vitesse, on délaisse les autres et le concurrent suivant arrive avec une option
radicalement différente qui s’avère remettre tout en question. La dernière Mini
Transat vient de nous démontrer que le progrès peut venir de bien des façons !
Fiches
techniques :
Cheminées Poujoulat
60‘
IMOCA
Architecte : Juan Kouyoumdjian
Chantier : Décision SA, Ecublens, Suisse
Mise
à l’eau : 24 septembre 2011
Longueur :
18,28 m
Flottaison :
18,28 m
Bau :
5,97 m
Tirant
d’eau : 4,50 m
Déplacement : 8 t
Voilure, près : 80 m2
PRB
60‘
IMOCA
Architecte : Finot - Conq
Chantier : Marc Pinta, La Rochelle
Mise
à l’eau : 3 septembre 1996
Longueur :
18,28 m
Flottaison :
17,75 m
Bau :
5,70 m
Tirant
d’eau : 4,18 m
Déplacement :
9,5 t
Voilure, près : 270 m2
Il Moro di
Venezia V
Class America, ITA-25
Architecte : German Frers
Constructeur : Tencara, Porto
Marghera, Italie
Lancement : 16 décembre 1991 à San
Diego.
Longueur hors tout : 22,90 m
Longueur de flottaison : 18,10 m
Bau : 5,50 m
Tirant d’eau : 4 m
Déplacement : 24,5 t
Surface de voilure : 326,6 m2
Spinnaker : 425 m2
Black Magic
Class America NZL-32
Architectes : Doug
Peterson et Laurie Davidson
Constructeur : McMullen
& Wing yard, Auckland, New Zealand.
Mise
à l’eau : Septembre 1993.
Longueur hors tout : 24,24
m
Longueur de flottaison : 18,04
m
Bau : 4,05 m
Tirant d’eau : 4 m
Déplacement : 24,7
t
Surface de voilure : 330
m2
Spinnaker : 425 m2
Emirates
Team New Zealand
Class America NZL 92
Architectes : Andy Claughton, Marcelino Botin,
Clay Oliver.
Constructeur : Cookson’s Boatyard, Auckland, New Zealand.
Baptême
: 24 juin 2006
Longueur hors tout : 23,80 m
Longueur à la flottaison :
18,90 m
Largeur : 3,35 m
Tirant d’eau : 4,10 m
Poids : 24 t
Lest : 19 t
Surface de voilure au près :
340 m2
Tres bel univers que vous nous proposez et que nous partageons avec tous les professionnels du nautisme. Et comme poujoulat est a la frontière de la région deux sevres / charente maritime nous l’apprécions particulierement
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