LA DOUBLE CARÈNE DE LA GOÉLETTE ONKAYE (1840)
L’America’s Cup a toujours impressionné par ses voiliers extravagants. Les 36e et 37e éditions, à Auckland (2021) et Barcelone (2024), n’ont pas dérogé à la règle. En effet, les monocoques volants qui y ont concouru possédaient tous une seconde carène, très fine, sous leur coque.
Pourtant, le concept de double carène ne constitue pas en soi une innovation. Onze ans avant la célèbre régate du 21 aout 1851 autour de l’ile de Wight, où America a remporté la victoire, une goélette étonnante était lancée : Onkahye. Or, sa coque présentait déjà cette originalité ! Robert Livingston Stevens l’avait imaginée et fait construire pour son compte et celui de deux de ses frères, Edwin et John Cox Stevens, à l’automne 1839 chez William Capes, à Williamsburg, dans l’État de New York, en face de celui de la Navy de Brooklyn.
Robert Livingston Stevens, 1787-1856, Inventeur du Rail en T, auteur des premiers yachts américains les plus rapides, Onkahye (1840) et Maria (1844).
Notons que John Cox Stevens, l’un des propriétaires d’Onkahye et l’un des fondateurs du tout premier yacht-club américain, le New York Yacht Club (NYYC), deviendra plus tard l’initiateur du syndicat de la goélette America…
Onkahye est une création qui ne manque pas de dérouter son constructeur, stupéfait par sa complexité. Son étonnement s’explique par l’alternance de formes concaves et convexes, par l’étrave d’une finesse incroyable, la double coque longue et étroite, par l’ajout de la quille creusée pour recevoir du plomb, et, pour parachever l’ensemble, la présence d’une dérive. Cette étrange carène intrigue également bien des observateurs.
Peinture à l’huile de Charles J. Lundgren (1911-1988) : Onkahye. Avec l’autorisation de Kent et Audrey Lewis. Audrey Lewis en est la propriétaire, son ancêtre, le lieutenant Benjamin F. B. Hunter, fut le maître voilier sur le USS Onkahye d’octobre 1843 à avril 1844. |
Le commodore Charles Stewart, vétéran de la guerre de 1812 et ami de la famille Stevens, est une autorité en construction navale. Lorsqu’il visite la future Onkahye au chantier, il n’hésite pas à donner son avis. Il déclare : « Il démâtera », en montrant du bout de sa canne une section du mât située au-dessus du pont. « Le bois va se fendre à peu près là », ajoute-t-il. Cela se confirmera plus tard, au moment où le voilier longe la plage du New Jersey, pendant un fort coup de vent d’est et quand l’équipage est obligé de porter des ancres sur le rivage. Les deux espars se brisent à l’endroit indiqué par le commodore. Les trois frères, qui se trouvent à bord ce jour-là, n’en reviendront pas.

©François Chevalier 2025 - Lines Onkaye 1840
William Capes et ses charpentiers travaillent dur à partir de l’automne. Le bateau est vite achevé. Dès son lancement en janvier 1840, l’imposant yacht suscite des articles élogieux dans la presse locale, et même des poèmes. Le nom original en langue indienne Onkahye (« Plume dansante ») inspire des jeux de mots. Toutefois, peu d’informations circulent sur le navire lui-même. Aucune description détaillée ne s’y trouve. Pourtant, le bâtiment se distingue par sa carène audacieuse et ses innovations, comme la gorge de mât pour endrailler la grand-voile, une première en Amérique. Ce système sera d’ailleurs repris sur le grand sloop Maria, également conçu par Robert L. Stevens en 1844.
On découvre néanmoins dans certaines gazettes que la goélette a lancé un défi au brigantin Exit, qu’elle a battu facilement. Et, dans le même contexte, le bateau pilote Jacob Bell, réputé pour sa vitesse dans la baie de New York, est aussi vaincu. Le voilier des frères Stevens va ensuite mener quelques croisières d’agrément à partir de 1842. Onkahye surpasse tous ceux qu’il croise, sous toutes les allures.

©François Chevalier 2025 - Sail plan Onkaye 1840
La Navy l’acquiert en 1843 et la renomme USS Onkahye. Équipée d’un hunier et de deux canons, elle part chasser les pirates et les transports d’esclaves dans les Caraïbes et aux Antilles, où sa redoutable rapidité facilite les arraisonnements. Malheureusement, Onkahye se brise au large de la Floride, sur la barrière de récifs de Turks and Caicos, le 21 juillet 1848. Par bonheur, tous les hommes s’en ressortiront sains et saufs.
Depuis le lancement d’Onkahye en 1840, l’étonnante double coque de la goélette de Robert Livingston Stevens n’avait pas été remise au goût du jour pendant près de 180 ans.

©François Chevalier 2025 - Sail plan Taihoro 2024 Emirate Team NZ
Les monocoques volants engagés dans les épreuves de la 36e et 37e America’s Cup (Auckland 2021 et Barcelone 2024) témoignent de cette renaissance.

©François Chevalier 2025 Te Aihe (2019), Te Rehutai (2021) & Taihoro (2024)
Il suffit d’examiner le profil des concurrents néo-zélandais — Te Aihe, Te Rehutai et Taihoro — pour découvrir qu’ils possédaient tous, comme leurs adversaires, une seconde carène très fine sous leur coque.
Onkahye
Goélette aurique
Architecte : Robert L. Stevens
Constructeur : William Capes, Williamsburg, N. Y.
Lancement : 1840
Longueur hors tout : 48,15 m
Longueur de coque : 29,26 m
Longueur de flottaison : 27,43 m
Bau : 6,70 m
Tirant d’eau : 3,30/ 5,35 m
Tirant d’air : 31,70 m
Voile de misaine : 200 m²
Voile d’artimon : 213 m²
Trinquette : 78 m²
Foc : 68 m²
Surface de voile au portant : 553 m²
Déplacement : 191 t


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