LA SAGA DES FOILS
Première Partie
Par François Chevalier & Jacques Taglang
L'America's Cup : un défi technologique depuis 1851 ! ©ACEA/Gilles Martin-Raget |
« Un jour, tous les bateaux voleront… »
Éric Tabarly (1987)
1851, Naissance d’un défi
technologique :
La Coupe de l’America
En 1851, la goélette America
est construite à New York par le meilleur chantier de bateaux-pilotes du port.
Le président du New York Yacht Club et ses amis payeront son prix à condition
qu’elle soit la plus rapide des yachts Américains et Anglais. America rencontre Maria, le sloop de président, un énorme dériveur extrême, conçu
pour naviguer en eau protégée, alors intouchable. 2 à 1, le propriétaire ne
règle que les deux tiers du coût. Mais America
remplit pleinement son contrat autour de l’île de Wight, le 22 aout 1851 en
remportant la Coupe qui porte son nom.
Dans la troisième course, Maria
passe sous le vent de la goélette America.
Maria passe America sous le vent... Mai 1851 ! Collection Chevalier-Taglang |
George Steers (1815-1856), concepteur d'America
Fils de charpentier de marine, George Steers s’est rapidement fait une
réputation avec ses yachts et ses bateaux-pilotes, mais également avec ses
clippers. Son œuvre la plus célèbre est la goélette America.
George Steers, America modeller Collection Chevalier-Taglang |
America (1851)
Longueur : 30,86 m
Longueur de la flottaison : 27,32 m
Bau : 6,96 m
Tirant d’eau : 3,34 m
Déplacement : 132 t
Surface de voilure : 525 m²
America, lines (1851) © François Chevalier - Extrait de l'ouvrage America's Cup Yacht Designs by François Chevalier & Jacques Taglang |
Maria (1845) Robert Livingstone Stevens' design
Longueur : 29,56 m
Longueur de la flottaison : 26,82 m
Bau : 8,08 m
Tirant d’eau : 1,57/4,35 m
Déplacement : 137 t
Surface de voilure : 600 m²
Maria, lines (1845) © François Chevalier - Extrait de l'ouvrage America's Cup Yacht Designs by François Chevalier & Jacques Taglang |
Les
Précurseurs
Thomas William Moy (1828-1910)
En 1861, l’Anglais Thomas William Moy fixe deux ailes sous la quille
d’un bateau qu’il fait tirer par un attelage de chevaux sur le canal du Surrey
au sud de Londres. À peine le canot a pris de la vitesse que la coque s’élève
hors de l’eau. Le déjaugeage dynamique est né. Sans l’avoir cherché, Thomas
William Moy vient de découvrir le concept de l’hydrofoil.
© François Chevalier |
Emmanuel Denis Farcot
© François Chevalier |
M. de Sanderval
M. de Sanderval, en 1876, expérimente un moyen d’élever un navire au-dessus
de l’eau afin de lui donner une vitesse dont « rêve notre imagination ».
Quatre hélices horizontales sont actionnées par un homme, hissant l’engin en le
dégageant des contraintes d’Archimède. Il réussit à soulever son embarcation suffisamment
pour valider son idée.
Collection Chevalier-Taglang |
Les
premiers bateaux à foils
Charles de Lambert (1865-1944)
Charles de Lambert, vers 1885, expérimente un engin sur foils de sa conception pour se libérer de la pesanteur. Il assemble quatre tonneaux munis de plaques fixées en dessous et inclinées. Il fait tirer l’ensemble par un cheval sur la berge. Le radeau en forme de catamaran s’élève au-dessus de l’eau. Il développera cette idée plus tard sur ses hydroglisseurs.
Ingénieur passionné par la conquête de l’air, premier élève des frères
Wright, il se consacre aux hydroglisseurs, et dès 1907, participe aux
compétitions de Monaco.
Collection Chevalier-Taglang |
En 1897,
sur la Tamise, Charles de Lambert — son premier brevet date de 1891 — fait
naviguer un catamaran sur quatre plans porteurs transversaux d’une surface
totale de 5,10 mètres carrés, muni d’une machine à vapeur qui provient de
l’avion d’Horatio Phillips, co-concepteur de l’engin. L’hélice tourne à 800 t/min.
Mais il rencontre des difficultés avec son propulseur et reprendra ses
expérimentations plus tard, avec un moteur à explosion.
© François Chevalier |
Hydroglisseur du comte de Lambert à Triel-sur-Seine en 1913,
moteur
Gnome de 200 cv, vitesse 93 km/h.
|
Le premier au-dessus de l’eau
Enrico Forlanini (1848-1930)
Issu d’une famille de médecins,
Enrico Forlanini a été plongé très tôt dans un climat où science et technologie
sont de toutes les conversations. Au cours de ses études à l’École
Polytechnique de Milan, il se passionne pour les expériences tendant à faire
voler tout ce qui est plus lourd que l’air. Il entame une carrière d’ingénieur avant de fonder son entreprise.
Collection Chevalier-Taglang |
Au printemps 1898, Forlanini fait évoluer un ponton sur deux coques
munies de quatre foils à échelle, dont les échelons plats sont de taille
décroissante à mesure qu’ils s’enfoncent dans l’eau, et qui sont fixées aux
extrémités du catamaran, tracté par un canot rapide. Avec une personne à bord,
l’engin s’élève au-dessus de la surface du lac Majeur.
Forlanini est bien le premier à avoir fait prendre son envol à une
embarcation à foils.
Collection Chevalier-Taglang |
Le
11 avril 1904, il dépose le brevet d’un canot à moteur, muni de foils. Ce sont
eux qui doivent « permettre aux
bateaux et machines volantes d’échapper au contact de la surface de l’eau
lorsqu’ils sont propulsés, ce qui a pour résultat d’offrir beaucoup moins de
résistance et pour effet d’atteindre des vitesses bien plus élevées. »
Idroplano sur le lac Majeur en 1906
Collection
Chevalier-Taglang
|
Lors des premiers essais, Forlanini utilise un moteur à combustion de 70 cv.
Il parvient à faire voler son bateau à la vitesse de 27 nœuds (50 km/h).
Les hélices à 5 pales sont contrarotatives. Le déplacement s’élève à 1,62
tonne. Foils à échelle sur l’avant.
Il est probable que cet Idroplano
soit le premier mû par le moteur à combustion interne.
Collection Chevalier-Taglang |
L’engin de Forlanini au repos. Remarquez les bras à l’avant qui supportent les échelles à foils, ainsi que l’arbre de transmission qui actionne les deux hélices à cinq pales.
Collection Touring Club Italiano |
Gaetano Arturo Crocco
(1877-1968)
Le chercheur
napolitain Gaetano Arturo Crocco est mathématicien, physicien et lieutenant du
Génie. Pionnier de l’aviation il est aussi connu pour ses travaux sur les techniques
de vol spatial.
Collection Altervista |
Gaetano Crocco met
au point, en 1907, avec Ottavio Ricaldoni, un bateau expérimental de 8
mètres de long, la Barchino
Idroscivolante, équipé de deux foils en acier, en forme de dièdre.
L’ensemble est propulsé par un moteur français Clément-Bayard de 80 CV qui
actionne deux hélices aériennes contrarotatives bipales, à pas variable.
Museo Storico Aeronautica Militare Aeroporto Vigna di Valle |
Au cours de ses essais,
Barchino Idroscivolante dépasse les
37,8 nœuds, soit 70 km/h.
Alberto Santos-Dumont (1873-1932)
Fils d’un planteur de café au Brésil, Alberto Santos-Dumont a fait ses études à l’École des Mines de Sao Paulo,
et vient vivre en France en 1891. Passionné de ballon et d’aviation, dont il
est un pionnier, il se lance dans la construction des Demoiselles, petits monoplans motorisés.
Collection Chevalier-Taglang |
En 1907, Alberto tente de remporter un pari de 50 000 francs :
atteindre les 100 km/h. Il fait construire un trimaran à flotteurs
gonflables, muni d’un foil de 4 mètres de long à l’avant et un de 1,50 mètre à
l’arrière.
À l’avant, un châssis reçoit un V8 Antoinette de 50 CV destiné à
actionner une hélice tripale, remplacé plus tard par un V16 Antoinette de 120 CV.
Collection Chevalier-Taglang |
On distingue clairement les plans porteurs avant et arrière.
Collection Chevalier-Taglang |
Au cours d’un essai en septembre 1907, l’engin coule et Santos-Dumont
manque de se noyer. Toutefois, l’appareil est remis en état pour une séance
photo. Santos-Dumont ne parviendra pas à atteindre son défi.
Même si son expérience n’est pas vraiment concluante, Santos-Dumont, par
sa popularité et les retombées de ses actions, participe à la reconnaissance
des recherches sur les foils.
Alessandro Guidoni (1880-1928)
Ministero della Difesa, Archives |
Le capitaine Alessandro Guidoni dote un Farman de deux flotteurs sous
lesquels il installe des foils, par paire d’abord. Ils sont en bois, puis en
aluminium, et enfin en acier. Le 5 novembre 1911, il accomplit le premier vol
d’hydravion en Italie, équipé de ses foils.
Collection Christian Pateras-Pescara de Casteluccio |
On voit nettement les foils sous les flotteurs. Le capitaine s’entraine
à larguer une fausse torpille.
Par la suite, et jusqu’à sa mort en 1928, survenue lors d’un essai d’un
nouveau parachute de sa conception, il équipera les patins d’hydravion de
petits foils.
Frank Sowter Barnwell (1880-1938)
Architecte naval de formation, Frank
Barnwell a conçu les premiers avions en Écosse, il a ensuite travaillé à la
Bristol Aeroplane Company.
Their Flying Machines, C. Barnes |
Henri Coanda, Frank Barnwell et Charles Burney posent devant le Bristol-Burney
X.2 en 1912.
Le monoplan X.2 avait une coque en acajou et des ailes étanches à
gauchissement pour le contrôle latéral. Le but des foils est de réduire la
résistance que représentent le poids et la trainée des flotteurs.
Aux premiers essais du 9 mai 1912, certains foils ont été arrachés.
Their Flying Machines, C. Barnes |
Hélice aérienne arrêtée, tracté par un câble, le Bristol-Burney X.2 en
hydroplanage s’avère très instable.
En mars 1913, un deuxième bateau volant le Bristol-Burney X.3 est mis en chantier. Les hélices marines
contrarotatives montées dos à dos, entraînées par un arbre unique, descendent
dans un tube vertical situé entre les foils. Le moteur est un Canton-Unne de 200 ch.
Their Flying Machines, C. Barnes |
On distingue nettement les échelles et, au milieu, les hélices marines
qui tournent dans l’air.
Les
essais sont stoppés en 1914.
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