Spice, un Class C très particulier
La Petite Coupe de l’America, comme il est coutume de
l’appeler, est depuis son origine, en 1961, le creuset d’inventions les plus
extravagantes. Après Dulcinea, le
Class C Danois de 1970 que j’ai décrit récemment sur le site, il en est un qui
ne passe pas inaperçu lorsqu’il arrive aux États Unis pour les sélections des
challengers de 1976. J’ai nommé Splice.
Le premier et seul Class C d’origine Sud Africain connu, mais quel Class
C !
Splice ne ressemble à aucun autre Class C de l’histoire. Conçu par un spécialiste du planeur, il s’est avéré redoutable au près, mais inefficace aux autres allures. |
Les particularités de Splice
sont telles que je ne sais par laquelle commencer. À la base, il répond en tout
point à la Class C, soit 25 pieds de long, (7,62 mètres), 14 pieds de large (4,27
mètres), et une surface de 300 pieds carrés (27,87 mètres carrés). Cependant,
en principe et par définition, il y a deux équipiers à bord, or il n’y a qu’une
place dans le cockpit à la base de l’aile, et, comme l’aile occupe la largeur
de la poutre entre les coques, l’autre équipier est bien embarrassé pour changer
de bord. L’aile comporte un volet de bord de fuite sur toute sa hauteur, et un
aileron arrière de stabilisation, lui-même équipé d’un volet de bord de fuite.
Cette configuration s’apparente aux catamarans à gouverne automatique
développés notamment à Seattle aux USA. La liaison entre les deux coques est
assurée par une large poutre, cependant plus étroite que la base de l’aile.
L’aile est particulièrement élancée, et tourne de 360° sur sa base sur un
disque en bois dur. Il n’y a pas de haubans, pas plus de trapèze pour
l’équipier, et le barreur reste dans son habitacle de verre (en plexiglass). Il
commande l’aileron et son volet qui orientent l’aile, ainsi que le volet de
l’aile ; les safrans sont commandés par pédalier. Le pilote enfermé dans
l’aile ne crée pas d’obstacle aérodynamique, mais bloqué dans sa cabine, il ne participe
pas au rappel. La dérive, unique, est sous l’aile, au centre et pivote
latéralement ! Les coques ont des francs bords très bas sur l’eau, les
étraves sont équipées de bulbes comparables à ceux des cargos. Cette
protubérance se prolonge presque jusqu’à la hauteur du bras central. Les
extrémités arrière sont pincées et les safrans, sous les coques, pivotent dans
une fente en se relevant.
Pendant la seconde guerre mondiale, un norvégien, Fin Utne,
avait réalisé un voilier à aile équipée d’un aileron auto-orientable, le Flaunder.
(Collection AYRS)
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Son concepteur et constructeur, âgé de 54 ans, le Sud
Africain Patrick Beatty, demeurant à Bedfordview, dans la banlieue de
Johannesburg, est un pilote de planeurs, ingénieur et constructeur. Il vient de
passer trois ans à réaliser ce Class C et l’a testé sur un lac près de
Johannesburg avant de l’expédier à Rowayton dans le Connecticut. En ce mois de
septembre 1975, le Roton Point Sailing Association est en pleine ébullition. Trois
semaines de compétitions vont se succéder, le championnat de la NAMSA (North
American Multihull Sailing Association), le Championnat Pacific et Atlantic
puis les sélections pour définir le challenger de la Petite Coupe qui se
déroulera en février contre Miss Nylex,
en Australie.
Pour sa première sortie, Pat voulait naviguer seul, mais il
lui a été rétorqué que la règle de la Class comporte deux équipiers, aussi le
club lui adjoint un jeune volontaire. Compte tenu du danger couru par le jeune
homme dans les virements de bord, sans compter les risques de s’empaler sur le
levier de relèvement de la dérive, le comité autorise Pat à naviguer sans
équipage.
Le Sud Africain Patrick Beatty devant Splice, on distingue dans le coin en bas à gauche le volume du bulbe d’étrave. (Collection Steve Clark) |
Rapidement, Splice
s’avère redoutable au près, avec un cap inhabituel. Mais sur les bords de
largue, sa stabilité latérale est mise à mal, la coque sous le vent s’enfonce.
Puis, au portant, la rentabilité de l’aile devient très faible, les volets
étant relativement peu importants par rapport à l’aile. Sa seule possibilité de
progresser est de tirer des bords de largue sur le bord de portant.
Spice lors de sa première sortie, l’équipier couché sur
le pont et Pat Beatty dans son habitacle aux commandes, comme sur ses planeurs.
(photo : Dan Nerney)
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Cette première journée de régate sera sa dernière. La nuit,
un vent violent endommage le voilier à terre, et Pat ne pourra le réparer à
temps pour participer aux sélections. Il tronque l’aile, et la cède au
Professeur Sam Bradfield, de l’Université de Stonybrook. Sam, pionnier des
hydrofoils, conserve Splice quelque
temps alors que Pat retourne dans son pays sans jamais revenir au Class C. Lui
et son épouse sont morts dans un accident de la route en 1991.
Après une nuit de tempête, Pat décide d’alléger et de tronquer l’aile de Splice, et met son voiler en vente avant de rentrer en Afrique du Sud. (Collection Steve Clark) |
Les sélections américaines se soldent par la victoire du
voilier d’Alex Kozloff Aquarius V venu
de Californie, alors que Patient Lady III
avait dominé les championnats, mais a brisé son aile la dernière semaine de
course. En février 1976, Alex Kozloff défend victorieusement les couleurs
américaines contre Miss Nylex, le
précédent vainqueur.
La prochaine LittleCup aura lieu à Genève à la Nautique, en
septembre 2015.
François Chevalier Octobre 2014
Class C
Longueur hors tout : 25 pieds (7,62 mètres)
Largeur : 14 pieds (4,27 mètres)
Surface de voilure (espars compris) : 300 pieds carrés
(27,87 mètres carrés)
2 équipiers
- «Histoire de la Petite Coupe», François Chevalier, Editions
de La Martinière, 280 x 310 mm, 224 pages, 90 plans, cartes, ainsi qu’une autre
édition en anglais («LittleCup Story»), à paraître toutes deux en avril 2015.
- Cette
appellation de «Petite Coupe de l’America», tout comme celle de «Little
America’s Cup», a été récemment interdite par sa grande sœur, alors que dès la
première édition, la presse américaine avait édité qu’ils avaient perdu la
“Little America Cup“. Officiellement, entre 1961 et 1996, l’événement s’est
appelé ITTC, International Catamaran Challenge Trophy, puis entre 2004 et 2013,
ICCCC, International C-Class Catamaran Championships. Il prend le nom désormais
de LittleCup, ou Petite Coupe en français.
- Merci à Duncan MacLane, skipper des Patient
Lady et Architecte naval, pour sa précieuse collaboration.